Pour cerner mon esprit, il faudrait lire ce que je sème un peu partout en une semaine.

Pour faire le tour de mon être, il faudrait y mélanger les poètes que j'écoute...

Pour comprendre mon fonctionnement... J'ai déjà du mal à le comprendre moi-même, malheureux !

***

Quand j'avais 17 ans (même un peu avant, il me semble), j'avais affiché cette lettre de Rimbaud à Théodore de Banville, dans ma chambre...

Lettre à Théodore de Banville, 24 mai 1870

Charleville (Ardennes), le 24 mai 187O.

A Monsieur Théodore de Banville.

Cher Maître,

Nous sommes aux mois d'amour ; j'ai presque dix-sept ans. L'âge des espérances et des chimères, comme on dit, - et voici que je me suis mis, enfant touché par le doigt de la Muse, - pardon si c'est banal, - à dire mes bonnes croyances, mes espérances, mes sensations, toutes ces choses des poètes - moi j'appelle cela du printemps.

Que si je vous envoie quelques-uns de ces vers, - et cela en passant par Alph. Lemerre, le bon éditeur, - c'est que j'aime tous les poètes, tous les bons Parnassiens, - puisque le poète est un Parnassien, - épris de la beauté idéale ; c'est que j'aime en vous, bien naïvement, un descendant de Ronsard, un frère de nos maîtres de 1830, un vrai romantique, un vrai poète. Voilà pourquoi, - c'est bête, n'est-ce pas, mais enfin ?...

Dans deux ans, dans un an peut-être, n'est-ce pas, je serai à Paris. - Anch'io, messieurs du journal, je serai Parnassien ! - Je ne sais ce que j'ai là... qui veut monter... - Je jure, cher maître, d'adorer toujours les deux déesses, Muse et Liberté.

Ne faites pas trop la moue en lisant ces vers... Vous me rendriez fou de joie et d'espérance, si vous vouliez, cher Maître, faire faire à la pièce Credo in unam une petite place entre les Parnassiens...Je viendrais à la dernière série du Parnasse : cela ferait le Credo des poètes !... - Ambition ! ô Folle !

Arthur Rimbaud.

Ce serait un mensonge que de dire que je cernais la moitié de ce qu'il voulait dire, je ne le comprends toujours pas. De toute facon, personne ne comprend vraiment Rimbaud ( http://www.youtube.com/watch?v=m_Dk45uQgEg ). J'étais juste touchée, en émoi. Comme si un magicien avait écrit ce que j'avais sur le coeur. C'était tout ce que je voulais : la beauté idéale, les vrais romantiques, les poètes et ces deux déesses, Ô ces deux déesses à adorer ! J'avais le même âge que lui, à quelques centaines d'années près. Je ne savais pas trop ce que cela signifiait, mais j'avais recopié en gros : "Anch'io, je serai Parnassien !". Parnassien... Ce mot avait pour moi un sens ésotérique qui me fascinait. Je voulais en faire partie. J'étais amoureuse...

Comme je l'avais été de Balzac...

Pas après l'avoir lu, mais après avoir regardé ce film qui traitait de sa vie... Mon beau-père avait eu la mauvaise idée de faire un accident au moment où je tombais amoureuse de cet amant incroyable. Il dégoulinait de sang. On avait dû l'emmener à l'hôpital. J'ai soupiré. Non seulement on brisait la magie de mon coup de foudre mais en plus on me ramenait au commun, vulgaire, des simples mortels. Qui ont des accidents, saignent et se plaignent. Pathétique. Quelques années après, au Père-Lachaise, je me suis mise à pleurer, sans explication, devant sa tombe. Je regardais cette tombe et je pleurais. Sans bruit. Les larmes me submergaient. C'est tout. Je m'en voulais de ne pas avoir pu ramener une rose. J'étais lycéenne.

Mais Arthur, Arthur Rimbaud... Avec son visage d'ange, ses yeux d'étoiles et ses cheveux en pagaille. Il avait mon âge et il touchait mon âme. C'était tout.

***

J'avais un autre poème à côté de celui-là :

Victor Hugo
Les poèmes

Victor HUGO (1802-1885)
(Recueil : Les contemplations)

Elle avait pris ce pli ...

Elle avait pris ce pli dans son âge enfantin
De venir dans ma chambre un peu chaque matin;
Je l'attendais ainsi qu'un rayon qu'on espère;
Elle entrait, et disait: Bonjour, mon petit père ;
Prenait ma plume, ouvrait mes livres, s'asseyait
Sur mon lit, dérangeait mes papiers, et riait,
Puis soudain s'en allait comme un oiseau qui passe.
Alors, je reprenais, la tête un peu moins lasse,
Mon oeuvre interrompue, et, tout en écrivant,
Parmi mes manuscrits je rencontrais souvent
Quelque arabesque folle et qu'elle avait tracée,
Et mainte page blanche entre ses mains froissée
Où, je ne sais comment, venaient mes plus doux vers.
Elle aimait Dieu, les fleurs, les astres, les prés verts,
Et c'était un esprit avant d'être une femme.
Son regard reflétait la clarté de son âme.
Elle me consultait sur tout à tous moments.
Oh! que de soirs d'hiver radieux et charmants
Passés à raisonner langue, histoire et grammaire,
Mes quatre enfants groupés sur mes genoux, leur mère
Tout près, quelques amis causant au coin du feu !
J'appelais cette vie être content de peu !
Et dire qu'elle est morte! Hélas! que Dieu m'assiste !
Je n'étais jamais gai quand je la sentais triste ;
J'étais morne au milieu du bal le plus joyeux
Si j'avais, en partant, vu quelque ombre en ses yeux.

Pourquoi celui-là plutôt qu'un autre... Je ne sais pas. C'était pour moi, le tableau du Bonheur, cette petite fille qui courait voir son père plongé dans ses écrits. Qui ouvrait ses livres et dérangeait ses papiers... Et je m'étais mise en tête qu'une littéraire devait avoir lu au moins une fois l'oeuvre complète d'Hugo. J'avais avalé tout un recueil de poèsie avec des descriptions horribles de guerre. Je lisais ca le soir et je passais ma nuit à faire des cauchemars affreux. C'était splendide. Je me disais : "C'est splendide !". Le matin, effarée de rêves atroces, c'est splendide. C'est splendide qu'un texte puisse faire voir cela. Si tout le monde lisait cela, le soir, à 16 ans, sûr, il n'y aurait plus de guerre. Je me réveillais et je disais à ma mère : "J'ai encore fait des cauchemars". Et elle, de me répondre : "Mais pourquoi, pourquoi lis tu ca, si ca te met dans un tel état". Elle ne comprenait pas. Personne ne comprenait. Que je cherchais la clé. La clé qui m'ouvrirait, à moi aussi, les portes des Lettres.

Et tous les matins, je me répètais cette formule magique : Anch'io, je serai Parnassien !

***

Le troisième à me porter, bien sûr, c'était Baudelaire. Et si j'écris tout cela aujourd'hui, en ce début d'Octobre, c'est que ma douce malédiction me reprend. Baisse de luminosité, changement de saison, appelez cela comme vous voulez. Tous les mois d'Octobre j'ai ce "je-ne-sais-quoi". Ma douce malédiction. J'y ai mis un mot le jour où j'ai ouvert les Fleurs du Mal : Spleen. Spleen Baudelairien. Comme une petite fumée, une noirceur qui recouvre le coeur en le laissant, tout de même, palpiter. Ma Douce Malédiction. Je l'attends, chaque année, comme une vieille amie. C'est comme si une mauvaise fée s'était penchée sur mon berceau en disant :

"Quand l'Automne arrivera, tu te diras " à quoi bon",

tu verseras toutes les larmes de ton corps au nom du Romantisme,

Tu contempleras le vide sous les ponts..."

Et, comme dans tous les contes, une fée plus sympathique serait passée derrière pour rattraper le coup : "Mais tant que tu écriras, tu pourras respirer. Remonter à la surface, pour reprendre une bouffée. Comme quand on se noit, quand on se bat contre les flots. Tu es condamnée à écrire chaque Automne, pour survivre.".

Et Baudelaire, de me rappeler à la raison :

ENIVREZ-VOUS

Il faut être toujours ivre, tout est là ; c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.

Mais de quoi? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous!

Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, vous vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge; à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est. Et le vent, la vague, l'étoile, l'oiseau, l'horloge, vous répondront, il est l'heure de s'enivrer ; pour ne pas être les esclaves martyrisés du temps, enivrez-vous, enivrez-vous sans cesse de vin, de poésie, de vertu, à votre guise.

(In Les petits poèmes en prose)

Dit par Reggiani, c'est encore mieux...

***

Pourquoi écrire cela, aujourd'hui ? Peut-être par sentiment de Solitude...

Peut-être parce que je suis, un peu, Triste et Bleu...

Peut-être parce que mon coeur est pendu au bout d'une ficelle...

Peut-être pour comprendre, moi-même, mon fonctionnement...

Peut-être pour le simple plaisir de nommer, de faire lire, faire entendre, tous mes chers poètes...

Peut-être parce qu'on revient toujours à ses premiers amours...

En tout cas, une chose est sûre : Anch'io, je serai Parnassien ! And So Forth...

Anch'io, je serai Parnassien !

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